De nombreuses cultures et de nombreux arts à travers l’histoire ont associé la nourriture et la sexualité. J’ai voulu montrer cette association dans des scènes de bondage – pratique sadomasochiste consistant à attacher son partenaire et héritée des techniques de ligotage utilisées au Japon (hojōjutsu).
La motivation de cette série est de forcer le lecteur à se questionner sur son rapport vis-à-vis de la nourriture et de la sexualité.
En effet, les échanges autour de la sexualité se sont libérés au cours des dernières décennies, grâce à des facteurs d’ordre sociologique (par exemple l’émancipation féminine), technique (par exemple la diffusion de contenus sur internet) ou comportemental (par exemple la quête du bonheur). On en parle à la radio et à la télévision, on la montre dans des clips vidéo et des publicités, on l’affiche dans les revues et des sites internet, on en discute dans l’intimité du couple ou entre amis. Par voie de conséquence, les pratiques sexuelles autrefois qualifiées de déviantes ou d’extrêmes comme le sadomasochisme, le libertinage ou l’échangisme deviennent des traits de sexualité et ne sont plus autant cachées ou honteuses – la notion de déviance sexuelle est désormais limitée à ce qui est interdit par la loi. Des lieux de rencontres et des sites internet spécialisés sur le sujet contribuent à cette libération des mœurs, le tout alimenté par de la publicité à bas coût. On s’ose à déconstruire nos fantasmes et à les considérer comme une étape à franchir sur l’échelle de notre maturité sexuelle ou un désir à assouvir pour atteindre le graal de notre jouissance personnelle.
Notre rapport à la nourriture a aussi changé ces dernières décennies. La globalisation a introduit la malbouffe tout en nous permettant d’accéder à plus de diversité et à plus d’exotisme. La quête perpétuelle de nouveaux sens motive la découverte de pistes innovantes voire la résurrection d’espèces du passé au goût différent et à l’apparence plus authentique, moins conformiste. La volonté de manger mieux et plus sainement nous fait revenir à une agriculture de proximité, humaine, équitable et saine. Mieux manger complémente aussi le rôle d’agrément de la nourriture dans nos rapports sociaux : par opposition à la malbouffe qui nourrit l’individualisme de notre quotidien pressé et stressé, la bonne chère accommode toujours souvent nos échanges sociaux – discuter, entrer dans la confidence ou l’intimité, se fait autour d’un café ou d’un repas ; recevoir s’accompagne de moments derrière les fourneaux. La finesse ou la richesse des mets proposés sont souvent proportionnelles à l’importance de l’acte social – la nourriture devient un signe extérieur d’éducation, de bon goût et de richesse. Ainsi, au-delà de son rôle de besoin vital, l’alimentation est un acteur à part entière de l’activité et de la proximité sociale et résiste à l’individualisme de notre société. Un acteur de la société de consommation que l’on accumule et que l’on gaspille. Un acteur de désir qu’on attend, qu’on chérit voire qu’on fantasme.
Acteur de bien être, acteur de sociabilisation, acteur de consommation, acteur d’apparat – la nourriture ne prend-elle pas trop de rôles dans nos sociétés occidentales ? N’est-elle pas juste le reflet de nous-même ? Au nom de la quête du bonheur, y a-t-il un lien entre exotisme alimentaire et exotisme sexuel ?